Jabal Moussa : une réserve naturelle Libanaise. C’est à dire un endroit avec des espaces protégées de toute construction, de la chasse, du feu et avec de très belles randonnées pour découvrir la faune et la flore. Un paradis pour les marcheurs amoureux de la nature. Hein ? Pardon ? Cela fait un peu trop pub comme discours et cela semble trancher avec les autres articles ? Bon, vous avez raison et notre séjour tenait autant de l’enfer que du paradis. Comme tout au Liban, cette pièce possède deux faces.
Tout commence avec les réservations ratées de la dernière fois, l’envie de découvrir les réserves naturelles, l’arrivée des vacances et une météo prometteuse. Ayant bien retenue la leçon Monsieur se sacrifie pour organiser les congés (il faut dire en même temps que Madame travaille et que Petite Demoiselle suit ses cours à distance). L’exercice peut sembler amusant au premier abord. Quoi de mieux que de parcourir les sites web des hôtels et des gîtes, de rêver devant les chambres toutes plus belles les unes que les autres, de saliver en lisant les menus des restaurants et de se remplir les yeux de magnifiques photos de paysages tous plus attirants les uns que les autres. Mouais, sauf que ça c’est ailleurs, dans un monde où des choses aussi bassement matérielles qu’un site web existent. Ici point de cela, un affichage sur le site bien connu de cartographie et hop le travail est terminé.
Alors oui je vous vois venir, petites malines et petits malins, si sur la carte tu cliques sur le nom du gîte, tu as toutes les coordonnées. Ha ha ha, laissez moi me gausser (c’est la loi, c’est normal (celui-ci Flo il est pour toi)). Là quand je clique sur un petit dessin représentant un gîte, j’obtiens comme coordonnées :
(Ne choisir qu’une seule option parmi les suivantes)
* un numéro de téléphone Libanais
* un site web
* un lien vers le réseau social bien connu et tout pourri
* une adresse email
* rien du tout, uniquement les coordonnées GPS
Le rituel est ensuite toujours le même : vérifier que le numéro est joignable par WhatsApp (l’application utilisée par tout le monde ici, oubliez la sécurité et la migration à Signal, tout le monde s’en tape le coquillard avec une babouche), se connecter au site web, se rendre sur le réseau social, envoyer un message sur l’adresse.
Le résultat ne varie pas tellement non plus : le numéro n’est pas sur WhatsApp ou ne répond pas, le site web n’existe plus, la page Facebook ne publie rien depuis 24 mois, l’adresse mail a sombré dans les méandres d’Internet. Et puis exceptionnellement une réponse arrive. L’événement est tellement rare et le temps passé à cette simple recherche tellement long, qu’une envie de pleurer et de remercier les Anciens Dieux et les Démons Hyboriens m’envahit à chaque fois. C’est comme un petit miracle dans le long silence qui m’entoure.
« Oui bon, ça va, t’as que cela à foutre et au final tu as eu tes réponses. Tu nous affiches les photos de la rando ? » pourriez-vous vous dire (et je suspecte au moins certains d’entre vous de le penser. Mais mon psy m’a dit d’arrêter de lire les pensées des gens et de ne plus sauter mes prises de pilules bleues). Sauf que non, ce n’est que le début de l’organisation. Vient ensuite la discussion des prix, la coordination des réservations, le transport et la recherches d’informations secondaires comme les trajets de pistes.
Pour Jabal Moussa tout cela aurait dû se passer très facilement et très rapidement. Le site web existe, le numéro de téléphone indiqué dessus répond en moins de deux semaines sur WhatsApp et un des deux gîtes nous a été recommandé par deux sources différentes. Bien sûr c’est le Liban et rien ne se passe jamais comme prévu…
Le numéro sur le site est celui d’un mec « en charge ». En théorie il s’occupe des réservations dans les gîtes, me donne les cartes des randonnées, et je n’ai rien à faire. En pratique il s’intéresse surtout à ce que je veux manger dans chaque gîte (je comprend pourquoi plus tard, beaucoup plus tard). Me confirme que « oui pas de problème pour les randonnées avec une enfant ». Ensuite je réserve un taxi auprès de notre compagnie habituelle. En à peine une semaine à temps plein j’ai réussi à prévoir des randonnées sur deux réserves naturelles, avec 5 gîtes et 4 trajets en taxi. Une performance qui vous fait peut-être sourire mais qui emplit mon cœur de fierté, je suis certain que je viens de poser le jalon pour un record à battre !
Dans cet article je vais me concentrer sur la première réserve. Le planning est simple : vendredi départ pour Al iibre, petit village à l’intérieur de la réserve, dormir chez Rita. Samedi randonnée jusqu’à la sortie de Nar ed-dahab, dormir chez Murielle. Dimanche retour en randonnée par une autre piste jusqu’à chez Rita pour la nuit. Lundi tour du lac, nuit chez Rita. Mardi retour à Beyrouth.
La boucle complète mesure 19,6 km, se fait dans la journée pour les gros marcheurs, aucun soucis pour la faire en deux jours. Petite Demoiselle marche bien, depuis longtemps. Je vérifie quand même et là première difficulté. J’ai la distance, durée estimée et notion de difficulté de chaque piste. Seulement la boucle s’appuie sur des bouts de piste (voir la photo en tête d’article) et Elie (le super responsable en charge de tout) n’arrive pas me donner les détails. A ce stade j’ai renoncé à obtenir des informations sur le dénivelé. J’obtiens un vague 6h et 4h pour les deux parties.
Le vendredi matin Elie me demande de confirmer mon heure d’arrivée, j’obtempère, il valide.
Vendredi, une heure plus tard, Elie me demande de décaler si possible, sans arriver à m’expliquer pourquoi. N’ayant pas envie de me prendre la tête avec le taxi je lui dit que je profiterai de mon avance pour faire les courses au village pour le pique-nique de la première journée de marche. Elie m’explique que Al iibre n’est pas un village mais un hameau sans boutique, que je dois m’arrêter à Yachouch. Cela ne pose pas de problème puisque nous devons passer par là. Seulement je commence à me demander quelle attention il a porté à mes messages puisque je lui avais expliqué avec force détails et demandes de confirmation nos projets.
Vendredi, 13:00, le taxi arrive. Et le patron de la compagnie m’envoie un message pour me dire que la météo étant mauvaise (il pleut et il parle de tempête de neige… Je vous ai déjà dit ce que je pensais des taxis en général et des taxis Libanais en particulier ?) il y aura un surcoût, mais reste incapable de m’annoncer la somme. En réponse à ma remarque cinglante arrangeante sur les changements de dernières minutes, il se retranche derrière le coût de la vie, la condition de taxi dépendant du carburant et du gouvernement, etc. Je vous laisse imaginer le discours Caussette d’un mec qui reste assis derrière un bureau en dirigeant une flotte de plusieurs voitures avec des chauffeurs sud-Libanais sous-payés.
Vendredi 17:00 nous arrivons chez Rita, le taxi nous réclame 33% de plus que prévu, nous réglons (la somme reste minime avec le change, c’est juste le sentiment d’arnaque qui fait mal) et j’ai une pensée émue pour toutes ses mamans de taxis obligées de faire le plus vieux métier du monde.
Vendredi 17:30 deux conclusions s’imposent simultanément. Le gîte est roots mais accueillant (Rita est une perle, un exemple de gentillesse et de partage familial), la nuit est froide est humide. « Hein ? C’est quoi le truc avec la nuit ? Vous êtes à l’intérieur, non ? ». Oui, avec un poêle à bois qui réchauffe la moitié du salon et une chambre avec une ouverture dans le mur (oui, c’est bien cela, un trou qui communique avec l’extérieur en direct) de 20cm par 20cm en haut du plafond (pour réduire l’humidité des murs et assurer l’oxygénation des pièces). Heureusement Rita nous amène un chauffage électrique (bon, y’a pas d’électricité pour l’instant, ici c’est 3 heures par jour les bons jours) et un chauffage au gaz. Et puis les lits (trois lits une place, tout mimis) sont recouverts d’une énorme couette et d’une couverture épaisse. Le repas du soir n’est pas bon, il est excellent et copieux comme un repas traditionnel Libanais un jour de fête.
Samedi nous partons dans le soleil à peine voilé de quelques nuages, la pluie tant redouté ne vient pas, nous sommes gonflés à bloc (et puis la marche cela réchauffe). L’aventure nous attend, le pique-nique dans un sac à dos, les fringues pour la soirée et le lendemain dans un autre sac et Petite Demoiselle qui a rempli son sac avec ses peluches pour la nuit et les chips ! Rien ne nous arrêtera. Ah ben si, en fait la direction de la piste au départ. Heureusement un habitant du hameau nous aide et c’est parti. L’aventure nous attend, rien ne nous arrêtera !
Samedi 10:00, la première pente est très difficile. 500m en 1,7 km. La vue est superbe, cela vaut le coup.
Samedi 11:00, les montées suivantes sont aussi difficiles, la vue est toujours superbe. La journée s’annonce meilleure que prévue question météo.
Samedi 12:00, tiens une plaque de neige, coincée à l’ombre, c’est marrant.
Samedi 12:30, tiens de la neige sur 5 cm, petit arrêt bonhomme de neige avec Petite Demoiselle. Un beau souvenir. Elie m’aurait quand même prévenu si c’était partout, non ?
Samedi 13:00, tiens 25 cm de neige, Monsieur commence à énumérer dans sa tête les différentes manières de tuer un homme avec des ustensiles de cuisine.
Samedi 14:00, 25cm de putain de merde de saloperie de neige à la con ! Les chaussures de randonnées de toute l’équipe sont étanches mais après une heure trente dans la neige, le principe atteint ses limites, surtout quand la neige passe par dessus la cheville. Monsieur envisage à haute voix comment faire souffrir un homme sans le tuer pour prolonger le plaisir. Madame et Petite Demoiselle essaient de garder le moral et de calmer Monsieur.
Samedi 15:00. Après avoir perdu les marqueurs (enfouis sous la neige puis tout simplement manquants sur la fin) nous faisons demi-tour sur une piste non indiquée sur un plan qui n’en est pas un (le schéma en entête d’article est tout ce qui existe… Pas de trace GPS, pas de relevé topo). Pause repas. Tout le monde est gelé, mouillé, démoralisé. Nous trouvons une autre piste pas indiquée sur les plans (ou mal), sans numéro et surtout sans idée de sa distance. Trop risqué, nous décidons de sortir de la réserve par la dernière entrée localisée à 30 minutes environs, et de prendre un taxi jusqu’au gîte de ce soir. Elie servira au moins à quelque chose. Enfin pas tout à fait puisqu’il n’est pas sûr d’avoir un taxi, nous aurions dû le réserver avant (« Quand cela ? Quand tu m’as parlé de la neige ou quand tu m’as indiqué que les pistes n’étaient plus balisées ? » Ah ben non, je sais « Quand je t’ai demandé de me valider la faisabilité sans danger avec une enfant ? »)
Samedi 16:00, transis de froid, après avoir frôlé la mort dans le brouillard qui était tombé, à l’arrière d’un taxi qui aurait tué à vue n’importe quel technicien de contrôle technique, nous arrivons chez Murielle. La taxi nous fait payer deux fois le montant habituel de la course, Monsieur a une nouvelle pensée pour la maman du chauffeur…
Samedi 16:15, un havre de paix et de chaleur. C’est ce qui nous vient à l’esprit, blotti contre un poêle chaud, dans un canapé confortable, une tisane au sureau et à la citronnelle dans les mains. La soirée se déroule dans cette sensation de bien-être, de paix et d’accueil. Nous échangeons avec Murielle (française vivant là depuis 25 ans), son mari Savino (greco-libanais) et un autre touriste de passage. Un Iranien charmant, qui vit à deux pas de chez nous à Hamra. Le monde est petit. Le repas du soir est un délice, Murielle nous a concocté un repas typiquement Libanais. La douche bouillante nous revigore, la nuit est douce dans un grand lit confortable.
Dimanche matin, petit déjeuner délicieux mais Madame est malade, coup de froid et coup de stress de la veille. Nous décidons de modifier nos plans. Ce sera taxi jusque chez Rita et de là petite rando tranquille vers le lac ou retour à Beyrouth suivant l’évolution de la situation. Le taxi se perd, nous fait payer le surplus de la course, mais à ce stade nous ne nous énervons même plus. Le soleil est de retour, Rita est absente et nous a laissé la maison ouverte, le soleil brille, Madame va mieux, direction le lac. Avant d’arrivée chez Rita nous franchissons les portes de la réserve et un échange s’engage pour payer l’entrée que nous devions régler à Rita. Tout rentre dans l’ordre et nous obtenons même les numéros de deux personnes (George qui est à l’entrée et Tanya qui gère vraiment les pistes, contrairement à Elie) nous fournissant enfin de vraies données sur les randonnées.
Dimanche suite de la journée. La promenade est belle, agréable, la vue du lac vert est magnifique. Nous pique-niquons sur une plate-forme qui surplombe le lac et rentrons tranquillement au gîte. En arrivant vers chez Rita des enfants observent Petite Demoiselle, le dialogue s’installe, la grand-mère d’un des trois nous aperçoit, nous invite chez elle pour prendre le café et un gâteau. Ce sont des gens charmants, accueillants et ils finissent par nous redonner espoir en l’humanité, loin des méandres des négociations avec Elie ou les taxis. Petite Demoiselle reste jouer chez eux, nous allons profiter d’une douche chaude. Rita arrive, la soirée se poursuit agréablement, elle nous trouve même une bouteille de vin pour l’apéro. La nuit est confortable (il ne pleut pas et l’électricité fonctionne un peu, la chambre est chaude).
Lundi matin, après un petit déjeuner traditionnel comme tous les jours depuis vendredi (café Libanais serré, œufs, Laban, tomates, …) nous partons sur le sentier en direction de Yachouch, à travers la montagne, en ne se fixant aucun objectif. La vue est à couper le souffle, avec la falaise à pic en face de nous, les fleurs partout, des traces de quelques animaux (Petite Demoiselle repartira avec deux longs piquants de Porc-Epic, dont un qu’elle se plante dans le doigt) mais pas d’aperçu direct, ils se cachent, les chasseurs ne tenant pas compte de l’interdiction. Ce n’est pas par défi ou le plaisir sportif des débiles du dimanche en France. Ici les gens chassent pour manger, tout comme ils cultivent leurs jardins, élèvent des poules et des chèvres. C’est un vrai retour à la campagne. Belle, calme et dure, très dure.
Lundi après-midi, de retour vers 16:00 nous sommes interpellés par les grands-parents d’hier, nous repartons pour un café et une part du gâteau de Pâques confectionné par une des filles de la dame, qui est passée la veille. La discussion entre Français et Libanais (surtout Français vus nos niveaux respectifs dans les deux langues) nous permet d’effleurer la surface de la vie ici. Nadja nous confie qu’il a arrêté l’école à 16 ans à cause de la guerre. Nous lui demandons si à cause de la guerre il n’a pas pu aller à l’école et il nous explique qu’il s’est engagé dans l’armée pour défendre son territoire. Pour prendre la mesure des choses, la guerre a duré 15 ans, quand elle s’est terminée cela représentait la moitié de sa vie…
Petite Demoiselle et les enfants du hameau se retrouvent tous ensemble, à courir, jouer, parler, chanter, jusqu’à la tombée de la nuit. Pendant quelques instants je retrouve les sensations de mon enfance à la campagne.
Le soir, après le repas (encore une fois succulent et copieux) Rita nous invite à prendre le café chez elle avec sa famille. Nous rencontrons Yussef, déraciné Syrien, vétérinaire de 25 ou 30 ans, faisant fonction de garde malade à domicile pour le cousin du mari de Rita, très âgé et nécessitant de l’aide. Nos hôtes nous parlent de leur journée entre Al iibre et Yachouch, du travail du jardin, la coupe du bois, les galères d’électricité, l’école pour les enfants, les difficultés depuis la chute de la livre. Et tout cela sans se plaindre, résignés mais fiers.
Mardi matin avant de partir nous réglons le séjour et comprenons pourquoi Elie faisait peu de cas de mes questions sur les sentiers et beaucoup sur les repas. L’association qui gère la réserve prend une part des gains de Rita (et Murielle). Elles cuisinent, achètent les aliments, payent l’électricité, le chauffage, font la lessive, enfin elles font tout ce que tenir un gîte suppose comme travail, et l’association leur prend 15% (d’après les informations que j’ai eu en recoupant un peu les infos) en échange de quoi ? Un mot sur un site web pas à jour ? Une interface commerciale qui n’est pas bonne et qui parfois provoque des situations malheureuses pour Rita ou Murielle (genre se retrouver perdus sur un sentier enneigé sans balises). Après les échanges avec Savino sur les relations entre les habitants de certains villages et les gestionnaires des générateurs de villages ou les vendeurs de fioul avec les possesseurs de générateur individuels, nous commençons à entrevoir une réalité assez désagréable : le sens des affaires douteuses n’est pas réservé aux politiciens. Tout ceux qui possèdent une once de pouvoir l’utilise uniquement à leur avantage. Savino nous avait très bien résumé cela samedi soir : la guerre civile continue, mais maintenant elle est économique.
Mardi après-midi, retour à Beyrouth et surprise (ironie !) le taxi nous annonce un tarif différent de celui convenu. Le patron est injoignable, la secrétaire (au téléphone) et le chauffeur (bloqué chez nous) sont navrés, le temps passe et pour débloquer ce pauvre chauffeur qui voit la journée filer et avec le temps, son salaire, nous lâchons l’affaire. Il ne nous reste qu’à trouver une troisième compagnie de taxi pour finir l’année scolaire 🙂
Le bilan global est très positif. Les rencontres tellement humaines, franches, ouvertes valaient le déplacement. Les paysages, le bonheur de respirer et de voir loin de la verdure et des fleurs, compensaient la marche et les galère d’indication. Le plaisir de voir Petite Demoiselle jouer avec des enfants ne se mesure pas.
Alors bienvenu à Jabal Moussa et comme promis à Rita, à Murielle, à Savino, à Nadja, à Farida et aux autres, nous reviendrons aux beaux jours pour goûter les fruits frais, partager l’ombre des arbres et la douceur d’un café sous le ciel étoilé.
Prochainement sur vos écrans la découverte du Chouf et nos nouvelles aventures en taxi.
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