Le Chouf (Shouf)

Après notre petit séjour à Jabal Moussa nous poursuivons nos vacances sportives en allant randonner dans le Chouf (ou le Shouf suivant les orthographes). Équipez vos chaussures de marche, des vêtements chauds et en route pour la montagne Libanaise.

Un nouveau départ

Les déboires de taxi et le froid mordant de Jabal Moussa à peine oubliés, le temps de faire une machine ou deux, une après-midi dans un parc (SwingCamp) dans la banlieue de Beyrouth (accro-branche et escalade d’arbres, histoire de ne pas perdre la forme) et nous reprenons la route. Cette fois-ci direction le sud pour découvrir la réserve naturelle du Shouf. Les lecteurs attentifs (c’est à dire pas toi qui passe ici tous les deux mois, je parle des passionnés qui rafraîchissent la page principale plusieurs fois par jour dans l’attente désespérée d’un nouvel article) auront déjà noté que ce n’est pas l’exacte vérité puisque nous avons fait une incursion dans le Shouf lors de notre week-end à Deir El Qamar. Cette fois-ci cependant c’est du sérieux : 5 jours de randonnées, 3 gîtes et 6 nuits sur place.

Pour une rapide leçon sur le Shouf je vous encourage à lire l’article de Wikipedia.

Notre programme, établi après les usuelles (l’être humain s’habitue à tout) épreuves pour trouver des coordonnées, est le suivant :
* jeudi après-midi : départ pour Barouk et nuit sur place
* vendredi : randonnée jusqu’à Ain Zhalta, au nord de Barouk, et nuit sur place
* samedi : randonnée retour à Barouk
* dimanche : randonnée direction Maaser (Maaser Ech-Chouf de son petit nom complet)
* lundi : randonnée retour à Barouk
* mardi : randonnée sur les hauteurs de Barouk
* mercredi : retour à Beyrouth

Un programme précis, organisé, avec de la place pour l’improvisation et les surprises puisque les randonnées devraient être courtes (entre 4 et 6 heures).

Jeudi

Le jeudi vers 13:00 le taxi ne donne pas de nouvelles… Je sens une légère pointe d’inquiétude, un petit rien, juste des réminiscences qui remontent de mes premières lectures sur Internet (oui dans ces années-là !) et abordent les résultats d’un mélange sable, savon et essence dans une bouteille fermée par un chiffon. 13:05 un coup de fil d’un chauffeur qui ne parlent que Arabe et bien sûr nos maigres avancées avec nos cours en ligne ne nous permettent pas encore de tenir une conversation correcte (et à cet instant j’imagine la galère pour le chauffeur d’être obligé de se fader des clients pas foutus de le comprendre) Heureusement le gardien de l’immeuble d’en face est sur le trottoir et comme depuis des mois nous échangeons des salutations et des « Kifak ? » il se marre et me dépanne avec plaisir. Le chauffeur de taxi est parti trop loin dans la rue (la faute aux échanges entre le chauffeur, le gestionnaire de la centrale et Monsieur. Dans les allers-retours l’information situant la rue, le supermarché Spinneys, est devenue l’adresse où le chauffeur attend depuis 30 minutes), et avec la grosse valise (et les trottoirs taillés pour faire du Cross-Fit) le rejoindre n’est pas la solution la plus sympa. D’un autre côté, vus les bouchons (ah oui le confinement est bien terminé, pas l’ombre d’un doute) faire le tour du quartier n’est pas non plus une solution cool pour le taxi. Après négociations c’est lui qui s’y colle et quelques minutes plus tard nous sommes en route pour Barouk. A l’arrivée tout s’enchaine très vite : le chauffeur nous réclame la somme prévue (alors que nous nous attendions à une remarque sur le cafouillage du départ), la maison de Maya qui nous servira de camps de base est superbe, le rez-de-chaussée qui nous est dédié est un cocon, la vue sur la montagne donne envie de partir immédiatement, le soleil brille contrairement aux annonces météo. Des fois je me dis que tout se met en place (je voulais dire s’emboite mais j’ai entendu les ricanements de Pascale et Flo) pour que l’instant soit parfait.
Coup de bol supplémentaire, le papa de Maya est le gestionnaire de l’accueil de la réserve pour Barouk, il peut donc nous déposer à l’entrée le lendemain matin, ce qui évite de se taper 5 km en bord de route. Avec la conduite locale c’est plus dangereux qu’une nuit dans la montagne au milieu des animaux sauvages.
Pour ne rien gâcher, nous terminons la soirée en se faisant livrer deux pizzas pour Madame et moi et du poulet grillé pour Petite Demoiselle (la guesthouse ne propose pas les dîners mais Maya nous aide pour trouver un restaurant qui livre et se charge de faire l’interface). Deux bières fraîches et un bon feu de cheminée plus tard Madame et moi regardons les prévisions météo qui semblent encore meilleures que prévues initialement.

Notre « camp de base » à Barouk pour explorer le Shouf

Vendredi

Vendredi matin, après un solide petit déjeuner Libanais (de moins en mois difficile à prendre, c’est même avec un plaisir certain qu’à la fin du séjour nous découvrirons les œufs soufflés, les manouchés au Zaatar, le café Libanais au réveil), la papa de Maya nous dépose à l’entrée et nous prenons le sentier direction Ain Zhalta. Notre confiance quant à la présence d’indications étant très très entamée suite aux parcours à Jabal Moussa, Madame a installé une application proposant des traces GPS et j’ai doublé avec une autre application de cartographie sur mon propre téléphone. Précaution inutile : le sentier est large, ne présente que peu d’intersections et toutes sont indiquées suffisamment clairement pour ne pas trop hésiter. La pluie annoncée pour la fin de matinée, puis début d’après-midi, puis fin d’après-midi ne se montrera finalement pas du tout. Ceci dit la traversée des nuages quand nous arrivons à presque 1900m d’altitude nous laissera un peu humides et surtout refroidis par le vent.
La première vue (de cette randonnée et également première tout court) de la vallée de la Bekaa est une des plus belles surprises de ce séjour. Et devant cette étendu verte, sur laquelle nous apercevons l’ombre des nuages alors que les champs sont baignés de soleil, nous comprenons pourquoi tout le monde nous en parle depuis notre arrivée au Liban. Tout au fond se découpe le Mont Anti-Liban marquant la frontière avec la Syrie. L’imagination s’envole vers les randonnées à faire là-bas, puis la réalité nous rattrape en force : il est peu probable que ce genre d’escapades se réalisent rapidement.
Nous poursuivons l’ascension, Petite Demoiselle est infatigable. Une pause pique-nique à l’abri dans un creux entre des rochers, vue sur la Bekaa dont nous ne nous lassons pas, et reprise de la route.
L’arrivée au sommet de cette partie de la chaîne du Mont Liban est un moment de bonheur, nous faisons les derniers pas main dans la main et Petite Demoiselle pose devant le brasero (enfin cela ressemble à un brasero) qui marque ce point.
Vient ensuite la longue descente à travers la forêt de Ain Zhalta, quelques jolis cèdres mais bien loin de notre imaginaire. Le calme de la forêt, la disparition des nuages, du vent et l’arrivée du soleil rende le chemin agréable. Du coup nous décidons de terminer à pied jusqu’au gîte, alors que Wael (notre hôte du soir) nous propose gentiment de venir nous chercher en voiture. Nous profitons de la traversée du village (gros village) pour faire quelques courses pour le pique-nique du lendemain et une bière pour la soirée.
La guesthouse du soir et une maison découpé en deux grands gîtes, avec une piscine (vide à cette saison bien sûr), un immense barbecue,des tables, des bancs. Bref le genre d’endroit où nous nous verrions bien revenir en compagnie de certaines et certains d’entre-vous. La cheminée est déjà prête (ici on démarre le feu avec du fioul directement arrosé sur le bois …), la douche chaude (très chaude) avec une pression qui fait un bien fou. Wael nous annonce que le petit-déjeuner sera bien pris là, mais que pour le dîner il nous emmène ailleurs. Une vague histoire d’un autre gîte, pas loin, pas clair. De toute manière pas le choix, alors go.
Finalement il arrive à l’heure prévue pour nous accompagner avec sa voiture et je remarque en arrivant qu’il descend avec une bouteille de vin dans la main, cela s’annonce plutôt pas mal. Nous entrons dans une maison qui s’avère être chez son frère et sa sœur, qui effectivement ont un gîte/ferme quelques part dans les environs.
Comment décrire la soirée ? C’est un défilé de plats, tous réalisés avec les produits bio de la ferme, cuisiné par la Sana (la sœur) et sa maman, avec explications, photos de la ferme, détails sur la production. La fierté avec laquelle nos hôtes parlent de leur pays, de leurs réalisations, de leurs projets est palpable et bien compréhensible. Nous découvrons au fil de la conversation qu’ils sont Druzes (une des communautés du Liban, je vous renvoie à Wikipédia), ce qui nous permet de creuser un peu le sujet de cette religion (un peu seulement, comme l’article vous l’apprend c’est un chouïa secret). Nous repartons avec la fin de la bouteille de vin pour terminer la soirée devant notre feu de cheminée pendant que Petite Demoiselle s’endort dans son lit. Nous sommes repus, tout était délicieux et la fatigue de la journée se fait sentir. Ah oui, pour info, nous avons parcouru 25,7 km aujourd’hui, avec 600m de dénivelé positif et presque autant de négatif.

La vallée de la Bekaa

Samedi

Samedi matin. Wael et son épouse arrivent pour nous proposer un petit déjeuner copieux, très copieux. Puis Wael nous emmène à l’entrée de la réserve. Ce matin nous préférons éviter la partie du trajet sur la route, trop passante. Et puis la météo est très moyenne, il pleut un peu, par intermittence. Le programme est de rentrer à Barouk par le sentier du bas (histoire de ne pas remonter à 1900 vue la météo). La marche s’annonce courte. Heureusement puisque nous essuyons de la pluie, du grésil (cela fait mal), de la grêle (cela fait très mal), de la neige (cela mouille) et un vent glacial suffisamment fort et long pour sécher nos vêtements, avant de reprendre la neige histoire de se re-mouiller un peu. Petite Demoiselle est courageuse, ne se plaint pas et avance vaillamment. Les paysages sont différents de ceux des hauteurs. Là-haut tout paraissait aride, avec des buissons épineux au ras du sol. Ici c’est vert, avec une alternance de mini-vallée entre des collines basses. La végétation est plus haute (enfin ce n’est pas non plus la forêt de pins), plus présente. La faune est absente, juste quelques traces au sol ou un bourdonnement lointain d’une abeille solitaire. Loin de Beyrouth (en termes d’altitude), le printemps n’est pas encore arrivé et le froid peut se faire très vif. Les animaux attendent prudemment. Seuls les hurlements des coyotes, chaque soir vers 21:00, nous signalent que la montagne est encore (un peu) sauvage.
Nous arrivons très vite à Barouk et décidons de rentrer chez Maya à pied, en descendant de l’entrée au village puis en remontant le versant opposé pour retrouver notre gîte. Le pique-nique se fait au coin du feu, bien installé à l’intérieur. S’en suit une bonne (et très longue) douche bouillante, puis une après-midi lecture (avec une pause pour regarder un morceau de Rush Hour en VO sur la petite télé au-dessus de la cheminée. Petite Demoiselle accepte de bosser son anglais, il faut juste trouver la bonne motivation)

Le soir nous décidons d’aller au restaurant le plus proche. Il était fermé le premier soir, et devait ré-ouvrir la veille (mais nous étions à Ain Zhalta, il faut suivre un peu, c’est pourtant limpide, non ?). Le restaurant est immense, il peut facilement rentrer 80 à 100 couverts je pense. Dans un coin une estrade avec lumière et sono laisse deviner des soirées dansantes, au centre de la première salle trône un immense poêle ouvert, taillé en losange vertical. Le feu qui brille à l’intérieur semble flotter au cœur d’un diamant suspendu (oui je sais, l’envolée lyrique est peut-être de trop mais c’est la sensation. Sensation certainement appuyée par le fait que c’est le seul point de chaleur au milieu de la salle glaciale. ). Le patron nous accueille avec le sourire, rajoute du bois pour raviver les flammes et nous présente le menu. Menu qui s’avère rapidement proposer des plats qui ne sont pas disponibles dans la réalité. Crise, flambée des prix, manque de clients pour assurer le remplacement des marchandises qui risqueraient de périmer ? Sans doute un peu de tout cela. Le repas est bon, tout se déroule très bien et pourtant une impression pesante s’installe peu à peu. Sur le chemin du retour nous échangeons avec Madame et il en ressort que c’est de penser à ce restaurateur et à son personnel qui a provoqué cela. Comment vont-ils faire à court terme pour survivre ? Comment faire face et conserver une activité avec 3 clients dans la soirée pour une salle prévue pour en accueillir 30 fois plus ? Et surtout qu’à demi-mot et sous-entendus polis j’ai cru comprendre qu’il est plus que probable que nous fûmes les trois seuls clients de la semaine.

Bilan de la journée : 18,5 km.

Les vallons au pied de la montagne

Dimanche

Il a plu une grande partie de la nuit, nous avons dû attendre au restaurant hier soir le temps qu’une averse digne de Noé s’éloigne. Le matin est clair (en gros le soleil passe entre les nuages de temps en temps et ces derniers sont plus blancs que noirs), l’air est vivifiant (en clair : on se gèle les … enfin vous voyez quoi !). Le papa de Maya nous propose de nous monter un peu plus haut que l’entrée parce qu’il y a sans doute de la neige sur les hauteurs et que le trajet vers Maaser risque d’être long.

Sans doute de la neige sur les hauteurs ? Ah, ah, ah. Déjà à la barrière de l’entrée le sol est blanc. Les premières centaines de mètres se déroulent dans la neige mouillée fondante. La route étant encore asphaltée nous sommes heureux de faire ce trajet en 4×4 parce qu’il ne présente que peu d’intérêt (pour Ain Zhalta nous bifurquions plus tôt dans la forêt). Les minutes passent et l’épaisseur sur la route augmente, en même temps que le brouillard s’épaissit. Pour bien dresser le tableau c’est une route de lacets, dans la neige et le brouillard (visibilité de moins de 10 mètres) avec à gauche le mur de la montagne et à droite un grand plongeon potentiel. Mes sentiments pour la papa de Maya sont en train d’atteindre des sommets ! Non sans déconner je veux bien donner un rein pour ce mec à cet instant là. Le silence règne dans le véhicule, nous ouvrons les vitres à l’avant pour diminuer la buée sur le pare-brise. Seule Petite Demoiselle, heureusement inconsciente de l’instant, chantonne et commente le trajet. Puis je perds toute notion de repère (et Madame me confirmera plus tard que c’était pareil pour elle). La route disparait sous la neige, les virages se resserrent et nous ne pouvons qu’espérer que le papa de Maya (Mahmoud pour vous le présenter) connaisse le lieu par cœur. Le 4×4 s’arrête, Mahmoud nous désigne un sentier entre les pins, deux autres voitures de la patrouille du parc nous rejoigne. Dernière vérification pour s’assurer que nous sommes encore partant pour traverser la montagne dans la neige (25 à 30 cm) avec une petite fille. Cela doit sembler fou puisqu’alors que nous nous enfonçons sous le couvert des arbres l’un des membres de l’équipe prend un photo de nous pour poster sur l’insta de la réserve (Ne t’embête pas à chercher, toi qui n’a pas accès à la partie privée de ce blog, la photo est de dos et dans le brouillard, anonymat garanti).

A partir de là commence la plus belle randonnée de ces vacances et certainement une des plus belles de ma vie (au niveau des montagnes de Yellowstone). Un monde de silence, à part les craquement de la neige sous nos pas. Un vide absolu, exception des traces de passage d’oiseaux ou de coyotes (ou renards, je ne suis pas un spécialiste). Et autour de nous, enfin, des cèdres majestueux, plus vieux que nous et de très loin pour certains, plus vieux que n’importe lequel de vous lectrice/lecteur (oui, même toi C. ou P.).

Le hasard (Le hasard a-t-il une probabilité aléatoire de ne pas exister ? Vous avez deux heures) ne se lassant jamais de nous surprendre, une apparition fait sursauter Monsieur. Un autre promeneur, seul, bâtons de marche en main. La conversation s’engage, c’est un français, de Beyrouth également. La veille il a aperçu la meute de loup locale, sur le chemin que nous avons pris deux jours plus tôt. Arf, pas de chance pour nous. Il suivait nos traces et maintenant part devant. Ainsi chacun aura eu droit de découvrir une montagne sans empreinte de passage humain.

La promenade se poursuit jusqu’à la descente sur Maaser. Un passage rapide dans une épicerie (et oui, toujours le pique-nique du lendemain), et nous prenons la direction du gîte de ce soir : Birds Guesthouse. A deux ou trois kilomètres à peine de l’arrivée, une voiture s’arrête et le chauffeur nous interpelle. C’est une des personnes qui gèrent la maison. Fin du trajet en voiture.

La maison est une très grande demeure sur la colline. 350 mètres carrés répartis sur deux niveaux, avec des terrasses proposant une vue imprenable sur la montagne. Le petit salon à l’entrée est une pièce carrée, des canapés tout le tour, un poêle à pétrole au milieu, des tapis au sol. Typiquement Libanais, et après la neige cela nous va très bien.

Nous pique-niquons dans la cuisine, où Nada nous propose un excellent café Libanais. Une jeune fille passe un peu plus tard, pour faire le point en anglais et vérifier que tout est ok. Elle nous raconte que c’est l’ancienne maison de famille reconverti en maison d’hôtes.

La maison est étrange, parce qu’entièrement vide, et immense alors que nous sommes seuls tous les trois. Encore un lieu pour venir faire la fête avec des amis venus de France ou bien pour organiser une partie de Cthulhu inoubliable.

Le repas du soir et le petit-déjeuner sont différents de ce que nous avons découverts jusqu’à présent. Ici pas de défilé de plats, représentatifs des dimanches ou des jours de fête. Ce sera tout simple, comme un ordinaire familial. Une soupe pommes de terre, carottes, vermicelle (et certainement avec un bouillon qui a reçu la carcasse de poulet), une salade verte, une salade d’herbes des champs alentours (seule Madame tente l’expérience et cela semble délicieux) et un plat de poulet-riz-poivron très proche de la paella. C’est délicieux, je me sers deux fois de la soupe et quatre (qui a dit 5 ? On avait dit qu’on ne balançait pas !) fois du poulet. Petite Demoiselle ne prend « que » deux fois du poulet mais fais un sort à la soupe en « j’ai arrêté de compter » passages.

Le mari de Nada (le chauffeur-sauveur de la veille), qui parlent très bien anglais même s’il s’excuse en permanence de son piètre niveau (si l’un de nous trois ne parlait que moitié aussi bien Libanais ce serait le bonheur) nous explique la provenance des herbes locales, l’élevage de poulets (local et bio également), les fruits, le Labneh. Tous les produits sont issus d’une production bio, locale, souvent entre voisins. Sur le chemin du lendemain matin, pour nous déposer au centre d’accueil de la réserve en ville (enfin dans le village de Maaser, qui est vraiment plus petit que Ain Zhalta ou Barouk), il nous raconte l’importance de la réserve du Shouf, des emplois et des subventions qu’elle fournit à la région, alors que le gouvernement ne fait rien (étonnant, non ?). Comme pour le restaurateur de Barouk nous sentons que nous touchons du doigt une réalité plus difficile à percevoir à Beyrouth. Les gens sont vraiment laissés seuls face à eux-mêmes. Jardiner pour produire son alimentation n’est pas un choix de bobo ici, mais une obligation pour ne pas crever de faim. Le manque d’électricité se fait ressentir plus cruellement qu’à Beyrouth (déjà parce que les plages de coupure sont plus longues, et puis parce que la fourniture par générateur coûte plus cher qu’en ville). Et pourtant la sincérité de l’hospitalité est encore plus présente.

Bilan de la journée : 11,5 km (courte mais intense)

Vent et gel

Lundi

Alors mettons fin immédiatement au suspens : c’est une journée de merde ! Voilà, c’est dit, c’est posé, je peux aller me coucher.

Hein ? D’autres avis ? Pourquoi faire, c’est mon article, je décide ! Bon ok, disons que Petite Demoiselle a trouvé que c’était « un de ses trois moments préférés sur les vacances ». Mais à son âge cela ne veut rien dire, si ? Que je suis un râleur impénitent ? C’est possible.

Le matin nous apprenons, par nos hôtes décidément inquiets pour nous (surtout pour Petite Demoiselle), que la neige a continué de tomber sur les sommets et qu’elle dépasse un mètre, voire deux (cela me parait exagéré, mais qu’est-ce que j’en sais après tout ?). Pas questions de réitérer l’exploit de la veille. Hier c’était une douce inconscience, aujourd’hui ce serait un risque ridicule. Et puis si nous avons un problème là-haut il va falloir imposer aux secours un risque idiot et évitable.

Ce sera le petit sentier de promenade qui va en ligne droite de Maaser à Barouk. Six kilomètres à peine, à se demander comment nous allons occuper le reste de la journée.

Kilomètre 1 : nous sortons du village, nous élevant juste assez pour en avoir une belle vue générale.

Kilomètre 2 : une goutte ou deux, pas de soucis.

Kilomètre 3 : grosses les gouttes, non ?

Kilomètre 4 : une carrière, le chemin va bientôt devenir route, nous approchons de Barouk. Les ouvriers nous offrent chacun un jus de fruit, nous proposent de nous réchauffer dans les « Algeco ». Cela va le faire.

Kilomètre 5 et suivants : la route n’en finit plus, il fait froid, il pleut des seaux, Madame nous propose de suivre un petit sentier qui borde la route et s’avère être un cul de sac à refaire en sens inverse sur un chemin boueux ou l’eau descend en formant un petit torrent. La maison de Maya est juste en face, mais pas de chemin pour couper au milieu et pas de pont pour la rivière en bas, il faut se faire toute la boucle de contournement. Putain et maintenant il grêle carrément. En plus les rues sont inondées, les voitures passent à fond dans les flaques et Petite Demoiselle a droit à une douche gratuite. J’en ai plein le dos (pour reste poli, pour la réalité descendre un peu) de ces vacances de merde, mouillé, transit de froid, les chaussures semblables à des piscines !

Une heure plus tard… Devant un bon feu de cheminé, dans des habits secs, après une douche brûlante, le pique-nique englouti, un thé chaud en main. Bon ok, c’était marrant et pas si mal.

Le soir ce sera livraison d’un repas pour rester au chaud (et la pluie reste menaçante, ni Madame ni moi ne sommes tentés par le pari d’aller dîner en ville sans prendre une saucée).

Bilan de la (longue) journée : 13,2 km (dont au moins 25 km sous la flotte j’ai l’impression)

Maaser Ech-Chouf

Mardi

Le soleil brille dans le ciel à notre réveil. Les manouchés faits maison par Maya et sa maman sont délicieux, le café fume. Le moral est tout en haut !

Nous partons faire le tour de Barouk, profitons de la pause de midi (enfin 13 heures bien tassées) pour goûter au Tarouk près de la station essence, Petite Demoiselle préférant le Shawarma d’en face. Puis nous suivons un peu la route, sans but, découvrons les restes d’un parc d’attractions abandonné, une autre partie (ou un concurrent) partageant son sort plus loin. Un karting semble encore en activité, nous en recevons confirmation par le patron, mais la crise et les prix proposés (même en tenant compte de l’effet « touriste étrangers ») risquent de laisser les karts au paddock pour longtemps.

Une jeune fille qui promène ses nièces nous recommande d’aller sur les hauteurs pour apercevoir la ville et la montagne sous un autre angle. La discussion arrive très vite au point habituel « Mais pourquoi êtes-vous venus vivre au Liban alors que tout le monde veut en partir ? ». Le plus difficile c’est quand je lui demande où elle veut aller et qu’elle nous répond « N’importe où loin de ce pays. ». L’espoir est en train de disparaitre chaque jour un peu plus. Tous les Libanais qui peuvent fuir sont en train de le faire ou de le planifier. Je repense au grand-père de Kevin, Naja, à Al iibre, qui avait résisté et s’était battu pour ne pas quitter la terre que ses ancêtres habitent depuis 1500 ans. Que va-t-il rester de tout cela ?

Nous poursuivons sur les hauteurs, faisons le tour de Barouk, observons un troupeau de chèvres avec leur gardien allongé dans l’herbe au soleil.

Le soir nous allons dans un autre restaurant proche du gîte. Là encore c’est une grande salle (voutée, en pierres, magnifique) avec une terrasse extérieure pouvant recevoir un nombre de convives important, et nous partagerons tout l’espace avec trois autre clients et les serveurs. Le patron nous offre les desserts et les cafés, alors qu’il sait qu’il ne nous reverra certainement jamais. J’ai de nouveau un pincement au cœur en faisant le compte du personnel (le patron, un serveur, trois en cuisine et je ne suis pas sûr de ne pas avoir raté le plongeur) pour six clients. Combien de temps avant que cela ne soit plus tenable ? Que feront ces gens dans une petite ville où tout ferme, coincée (et coincés) dans un pays où tout s’effondre ?

Ce soir après le martini siroté au coin du feu, il faut dormir, demain c’est le retour à Beyrouth.

Bilan de la journée : 17,5 km au soleil

Vue depuis les hauteurs de Barouk

Conclusions

Malgré l’épisode un peu difficile du lundi le bilan reste très majoritairement positif et nous avons hâte de refaire des randonnées ici et dans d’autres parties du Shouf. Ce sera plutôt aux beaux jours pour ne plus prendre de risque de météo fluctuante. Nous espérons également avoir la chance de partager cela avec certaines et certains d’entre-vous qui lisez ces lignes.

L’autre conclusion c’est cette prise de conscience des conditions de vie à la campagne et dans la montagne Libanaise. Tout comme avec Rita à Jabal Moussa, le Shouf permet de rencontrer des personnes attachantes, souriantes et ballotant entre lutte et désespoir. Mais toujours avec une fierté, bien méritée, dans les yeux.

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