« Ma fi kahraba », « ma fi may », « ma fi Internet » …
À peine de retour au Liban pour cette troisième année que le mot du jour est « Ma fi », à savoir « il n’y a plus ». Plus d’eau, plus d’électricité, plus d’Internet, plus de téléphone.
Comme d’habitude c’est une exagération, de même que l’inflation qui rend la vie intenable même pour les expatriés, la pénurie d’essence, le risque élevé de vol à l’arrachée et de cambriolage. Je n’évoquerais même pas les risques à Tripoli ou dans la Bekaa.
Heureusement la réalité est un peu moins catastrophique à vivre. Petit résumé pour situer le démarrage de cette année scolaire.
L’eau : de notre côté, comme pour pas mal de monde à l’est de Beyrouth tout se passe bien. Pour la partie ouest, traditionnellement mal alimentée en eau pour des raisons de hauteur, d’éloignement des arrivées et autres considérations géographiques, cela devient parfois (toujours du cas par cas ici) difficile. Certains immeubles par manque d’électricité ou par manque de locataire ne peuvent pas faire remplir les cuves sur les toits (sans électricité pas de pompe, et avec peu de locataires les livreurs n’ont pas envie de se déplacer puisque leur frais d’essence ne sont plus couverts par la vente). Ce n’est pas la pénurie totale partout, comme d’habitude les populations les plus fragiles sont les plus impactées.
L’électricité : l’EdL ne fournit plus rien ou presque. Ce n’est pas une manière de parler : un ami a passé les deux dernières semaines avec 0 heure quotidienne de la part d’EdL et reçoit péniblement une heure cette semaine. Les générateurs privés fournissent la majorité de l’approvisionnement comme les deux années passées (nous concernant, globalement cela dure depuis bien plus longtemps). Là encore c’est le grand écart suivant les quartiers, le standing de l’immeuble, l’envie (et les moyens) des locataires et propriétaires d’assurer le fonctionnement des parties communes (« Ascenseur vous avez dit ascenseur ? »). Pour vous donner une idée un couple d’amis vient de voir passer son quota journalier de 12 heures à 9 heures, dont une partie la nuit (super utile). Concrètement ils sont dans le noir à la tombée de la nuit (vers 18:30 en cette saison, le générateur ne redémarre que vers 19:00 ou 20:00 chez eux). Pour nous le quota a augmenté (plus de coupure à partir de 15:00, jusqu’à minuit ou 01:00 du matin) pour passer à 12:30 par jour. Le reste du temps de plus en plus de logements (encore une fois quand les moyens le permettent financièrement) s’équipent de batteries (rechargées sur les périodes de fourniture ou par panneaux solaires). La remise en route du réseau public avec les aides internationales parait de plus en plus illusoire.
Internet : Depuis l’augmentation du 01 juillet 2022 (entre x 2,5 et x 5 sur les tarifs) la grogne monte chez les employés dont les salaires n’ont pas évolué (ou pas suffisamment). Cela se traduit pas des grèves. Après Touch et Alfa (les deux opérateurs mobiles d’état) c’est Ogero (opérateur public de téléphonie fixe et adsl/fibre) qui poursuit. À la clef des pannes complètes ou partielles de tous les accès Internet. Les autres opérateurs s’appuyant soit sur Ogero, soit sur des connexions dans ses locaux les coupures touchent presque tout le monde. Depuis ce matin toutes les grèves sont levées temporairement, sur le fond rien n’est réglé. Chacun se refile des tuyaux sur les zones couvertes (ou pas) par chaque opérateurs, les lieux avec encore un accès.
L’essence : la fin des subvention (presque complète) entraine mécaniquement une hausse des tarifs. L’approvisionnement n’est pas touché et il est facile (bien qu’onéreux par rapport aux salaires locaux) de faire le plein.
La sécurité : quoi qu’on en dise (et quoi que certaines chaînes françaises diffusent comme images) la sécurité règne encore au Liban. Il arrive que des règlements de comptes se produisent. Cela reste rare, localisé majoritairement dans deux ou trois régions, et surtout dans la quasi totalité des exemples les échanges de coups de feu ne sont pas en pleine rue au milieu des passants. Les terrasses marseillaises sont bien plus dangereuses. Quant aux vols du quotidien, sans les nier totalement, nous sommes très très loin du niveau des grands villes françaises. Il est possible de rentrer de soirée, la nuit et à pied, sans risque.
L’école : reprise aujourd’hui pour les écoles françaises, sans masque (quel bonheur pour les enfants et leurs enseignants) et en présentiel. Tout est parfait, non ?
Les prix : de gros écarts selon les lieux et les produits. Les fruits et légumes sont aux mêmes tarifs ou presque qu’en juin (chez les vendeurs de coin de rue). La viande (en supermarché pour être à peu près certain de la chaine du froid) a clairement augmenté, même si cela reste bien moins couteux qu’en France. L’essence frôle les 650.000 LL les 20 litres (au taux de change du jour cela fait environ 18 euros pour 20 litres). Le taux de change au marché noir est de 35.000 LL pour un dollar.
Une partie des prix se « dollarise ». C’est à dire qu’ils sont affichés en dollars et que le paiement se fait en fresh dollars ou bien en livres libanaises au taux du jour (de la plate-forme officielle à 28.000 dans de rares cas, du marché noir le plus souvent). Cela modifie pas mal de choses. Pour les personnes qui n’ont pas de dollars la vie qui était difficile devient carrément ingérable. Pour ceux qui ont des dollars la variation de la livre ne change plus rien, et donc l’inflation n’est plus compensée par la dévaluation. En clair ? Tout augmente pour tout le monde.
Soyons honnête, pour la population avec des dollars la vie reste encore très abordable et il est possible de manger à trois pour 30 euros au restaurant (local et populaire) ou de boire un cocktail pour 4 euros.
Une nouvelle année démarre, l’aventure se poursuit et nous sommes ravis de la vivre.