Baalbek la cité antique

En ce petit matin de dimanche toute la famille se lève à l’aube, malgré une soirée terminée quelques (courtes) heures plus tôt. Nous partons visiter *le* lieu emblématique du Liban : la cité antique de Baalbek. Accompagnés de J. et guidés par C.

Autant le dire de suite la matinée commence de manière sinon désagréable pour le moins forte inattendue.

La veille nous avions un repas d’au-revoir. Un couple d’amis quitte le pays définitivement, crise oblige, et nous profitions d’une ultime soirée avec eux. Les enfants jouaient dans l’appartement, les adultes partageaient un ou deux mojitos, quelques quilles de rosé frais ou de rouge bien équilibré et une discussion en entrainant une autre la nuit passait doucement. Cinq heures à peine (oui, vous pouvez nous menacer d’appeler les services sociaux d’aide à l’enfance) plus tard Petite Demoiselle sortait du lit, se préparait en même temps que nous, avec autant d’entrain et les paupières aussi collées que les nôtres par la fatigue. Seule différence, Madame et moi-même avions en plus mal au crâne.

À 07:59 nous sautons dans l’ascenseur pour être à l’heure au rendez-vous : notre guide et ami C. arrive à 08:00 et notre ami-voisin J. devrait être là également. 08:00 coupure de courant (mince, c’est vrai, nous avions oublié dans le feu de l’action ou alors les esprits sont encore embrumés) et surprise de taille : les batteries de secours ne prennent pas le relais ! L’ascenseur s’arrête net, entre deux étages, portes bloquées (putain, pour une fois qu’un truc de sécurité fonctionne au Liban, c’est vraiment pas de bol). No panic, C. est sur place, il suffit d’appeler le gardien pour trouver une solution. Ah, bon, ben le gardien est injoignable et introuvable… Heureusement c’est Beyrouth, et les voisins de l’immeuble de l’autre côté de la rue aperçoivent C. qui hèle sans résultat un gardien absent, se renseignent sur le besoin, comprennent le « petit » soucis des français idiots qui ne surveillent pas l’heure de la coupure et arrivent à joindre le responsable du générateur de quartier pour relancer quelques minutes d’électricité (tout le quartier se rallume grâce à nous, c’est beau cette influence) afin de nous libérer.

Aujourd’hui nous partons direction plein Est, très légèrement au Nord de la capitale. Le trajet durera 01h30, nous fera traverser le pays sur sa largeur, pour encore une fois se retrouver à la frontière Syrienne, en pleine zone rouge (proximité de la frontière, quelques incursions de Daesh, des clans locaux qui règlent leurs différents à la kala). Pourquoi autant d’excitation alors ? Parce qu’aujourd’hui nous visitons Baalbek (ou Baalbeck, Baalbak, etc.) ! C’est *le* lieu à ne pas rater au Liban. Une citée antique avec les plus grands temples du monde Romain. Pour tous les détails sur la ville, comme d’habitude je vous recommande de lire l’article Wikipédia.

L’arrivée sur place sera à l’image du démarrage le matin … À peine stationnés un vendeur de tissus tout droit venus de Chine tente de coller un keffieh sur la tête de C. qui malgré le fait qu’il soit libanais et ne ressemble pas au touriste européen moyen devra insister pour avoir la paix. Nous avons soif et Madame doit faire un arrêt pipi avant la visite (pour éviter le jeu de cache-cache entre deux blocs de pierre datant de 2000 ans, ce qui manquerait considérablement de classe), direction un café jusque à côté. Deux cafés turcs et un jus de fruit plus tard le mec nous annonce, dans un français parfait, 180.000 LL, ce qui doit être pratiquement le quintuple du prix habituel (et réel). Madame jette une parte de la somme et s’éloigne avant d’enfoncer la tête du patron dans la table basse. Je ne l’avais pas vue comme cela depuis un accrochage à Bali (7 ans déjà) où j’ai cru pendant quelques secondes qu’elle allait déboiter un gardien de parking. La justice et l’honnêteté sont des valeurs fortes chez Madame. Là le cafetier a clairement poussé le bouchon trop loin et C. nous confirmera un peu plus tard lui avoir dit en arable tout ce que nous n’avions pas déjà dit en français. Soyons précis, ce n’est pas la somme (6 euros) qui pose problème, c’est l’insulte ! Tout est en sous-entendus ici, l’art du dialogue à plusieurs niveaux. Nous avons justement pris une excellente leçon la veille avec nos amis qui nous ont expliqué quelques subtilités que nous n’avions pas encore perçues (et qui nous sont pardonnées puisque nous sommes étrangers). Lorsque Madame fait remarquer que la somme demandée est exorbitante, que nous vivons ici et connaissons les prix, et que le tenancier rétorque « Dans ce cas donnez ce que vous voulez ! » cela ne fait qu’aggraver la situation puisque nous avons maintenant le choix entre se faire voler ou passer pour des radins en négociant le prix d’un service déjà rendu (les consommations sont bues). Le malandrin s’apercevra trop tard de son erreur, tentant de nous amadouer alors que nous nous éloignons et revenant nous voir lorsque nous quitterons la ville (la voiture est à 10 mètres du café). Même si l’incident est loin (la visite du site efface tout ce qui s’est passé et pourrait se passer dans la journée) nous jouons le rôle attendu, snobant les excuses, renvoyant ainsi l’insulte. Que les relations humaines peuvent être complexes parfois.

L’entrée se fait à un tarif calculé sur le taux officiel (1557 LL / 1 USD, je ne vous refais pas le topo), nous permettant de profiter d’un des plus beaux sites au Monde (Oui, je sais, je suis d’une objectivité à toute épreuve !) pour 1,50 euros à 5 (pas chacun, 1,50 euros le groupe complet). Au-delà du sourire que cela pourrait éventuellement faire naitre sur vos lèvres de lecteur accroché aux miennes, c’est surtout une catastrophe annoncée pour la sauvegarde du patrimoine. Comment entretenir un site tel que celui-ci avec un tourisme qui décline plus vite que la proportion de bonne foi dans un journal de BFM TV et des prix non actualisés ? Il serait grave pour nous et nos enfants (enfin ceux qui survivront au changement climatique) de perdre un tel lieu, une telle beauté et un tel lien à notre histoire commune.

Quelques minutes pour expliquer aux guides privés/officiels que nous avons un archéologue et un historien avec nous (C. et J. sont dans un bateau …) et nous voici face à la première volée de marches. Difficile de décrire la sensation qui se met en place devant la démesure du lieu. Puis la réalité refait surface : il ne reste qu’un petit quart de l’escalier original et un bout de rien de la façade ! Si nous sommes impressionnés que ressentaient les romains arrivant devant un bâtiment entier ?

Pendant presque trois heures ce sera une accumulation de surprises, de découvertes, de « Whaou ». L’état de conservation exceptionnel, les dimensions titanesques, les différentes parties du site (temple de Jupiter, petit autel, grand autel, temple de Bacchus, murs d’enceintes ajoutés lorsque le site fut transformé en forteresse contre les croisés, …) tout concourt à ce sens du merveilleux.

Grâce aux explications de C. nous avons accès à des détails autrement faciles à manquer. Les exèdres (salles de conversation semi-circulaires) le long de la cour intérieure et les colonnades préfigurent l’inspiration des églises catholiques à venir. Les colonnes sont plus larges en haut qu’en bas pour contrer l’effet de perspective qui se produit en levant la tête vers le haut depuis leurs pieds. Telle partie du mur d’enceinte a été ajouté plus tard, les pierres ne sont pas les mêmes (formes et couleur).

Cerise sur le gâteau nous arrivons assez tôt pour éviter la grosse chaleur de midi (enfin en partie), les vacances n’ont pas débuté, l’essence est toujours aussi chère : nous avons la totalité du site pratiquement pour nous seuls. Au final à peine une vingtaine de personnes est présente, et l’espace permet de se répartir pour ne pas se déranger sur les photos. Cela renforce également l’impression de gigantisme.

Petite Demoiselle adore la visite et nous sommes tout (et tous je pense) aussi conquis qu’elle.

Nous profitons d’être sur place pour visiter une très belle église ancienne et direction Zahlé (avec un arrêt repas pendant lequel nous dégusterons un excellent Shawarma). Nous n’avons pas le temps de visiter toute la ville (trop grande, c’est la capitale du gouvernorat de la Bekaa, voir l’article Wikipédia pour les détails) et comptons bien revenir l’an prochain. Nous nous rendons tout de même à Notre-Dame de Zahlé où une petite grimpette des 14 étages de la tour permet de profiter d’une superbe vue à 360° sur la ville et une partie de la Bekaa. Ensuite direction une petite promenade en bord de rivière dans la zone de Berdawni qui regroupe des restaurants réputés pour la cuisine locale et des jeux à destination des enfants. L’horaire ne se prête pas à un repas (et puis pas certain que les tarifs soient abordables vu le cadre) pourtant je ne peux m’empêcher de loucher sur les assiettes de fruits frais.

Le temps passe, la journée avance et nous ne pourrons pas profiter de la visite vinicole de Ksara. Ce sera pour l’année prochaine si tout va bien. Le lieu est réputé pour ses caves installées dans de grandes grottes découvertes par les jésuites. C’est également le plus vieux domaine du pays.

Quelques dizaines de kilomètres dans un paysage plus désertique que les alentours de Beyrouth ou la zone du Mont Liban (nord comme sud), sur des routes défoncées bordées de champs agricoles et de camps de réfugiés Syriens qui fournissent la main d’œuvre et nous arrivons à Anjar. La frontière Syrienne est à quelques kilomètres à peine (quelques genre 2 ou 3 max). Malheureusement la journée arrive à son terme et nous ne pourrons pas faire le tour de la ville. Ce sera notre dernier arrêt et nous visiterons, grâce à C. encore une fois, un lieu passé sous les radars de pas mal de guides : les ruines de la cité Omeyyade.

La particularité du lieu est d’être une cité arabe, de la dynastie des Omeyyades. C. nous explique pourquoi le site est très peu mis en avant (consulter la page Wikipédia dédiée à la ville et vous constaterez à quel point l’information arrive tardivement là aussi. Les liens externes vers les sites officiels ne fonctionnent même plus). Il se trouve que le Liban est un pays plutôt classé arabe, dont la langue officielle est l’arabe, avec une population musulmane assez forte. Mettre en avant les sites très anciens, de l’époque Grecque ou Romaine et les forteresses des croisées permet de rétablir une forme d’équilibre Occident-Orient. Les sites pré-historiques sont neutres et ne posent aucun soucis. Mais Anjar est une cité antique arabe et certains (traduire « les Chrétiens ») préfèrent conserver une forme d’équilibre, quitte à passer sous silence des ruines splendides et une cité de très belle taille. Une idée des conséquences : le site n’est « découvert » par les archéologues qu’à la fin des années 1940 alors même que la France aide à la construction de la ville moderne et à l’installation des réfugiés Arméniens dès 1939. Passer à côté d’arches de 15 mètres de haut pendant 10 ans demande une certaine dose d’étourderie … Bien entendu cela ne représente que l’avis d’une personne (Chrétienne je précise, difficile donc de supposer un parti pris guidé par le communautarisme) et je ne me permettrais pas de trancher.

Retour à Beyrouth au cours d’un trajet où la fatigue et le soleil couchant rasant se combineront à l’état de la route pour entamer sérieusement le capital santé des amortisseurs.

La conclusion de notre journée est multiple. Tout d’abord l’engouement pour Baalbek et très largement justifié, c’est un lieu à visiter si l’occasion se présente. Ensuite nous constatons encore une fois la richesse et la variété du pays. Autant de ruines d’époques différentes sur une aussi petite superficie c’est l’occasion de parcourir notre passé et sa complexité. Enfin force est de constater que si la situation est difficile à Beyrouth cela ne représente qu’une fraction de la misère qui apparait dès que l’on s’éloigne. Le nord (Tripoli et le Akkar) est pauvre, la Bekaa l’est tout autant malgré ses plaines fertiles. Nous ne comptons plus les camps de réfugiés et les camions remplis de femmes et d’enfants qui se rendent ou reviennent des champs que nous avons croisés aujourd’hui. Les routes peu entretenues le long de la côte ressemblent à des pistes de grand prix de F1 en comparaison des voies principales l’intérieur des terres où un trou de 40 cm de profondeur n’est pas un fait inhabituel.
Madame aura une réflexion lors de notre échange le soir sur la journée écoulée : « En sortant de la ville c’est vraiment le tiers-monde ! ».

J’espère que vous serez nombreux à venir un jour visiter Baalbek, que le tourisme aidera le pays à se reconstruire, et que toute la gentillesse de ce peuple trouvera le lieu d’accueil qu’il mérite. Ne vous méprenez pas sur la conclusion ci-dessus. Il est impossible de ne pas voir la pauvreté et la déliquescence du pays. Pourtant ce n’est pas ce que nous en gardons. Les échanges, l’accueil, les sourires, les paysages, l’entre-aide c’est avant tout cela le Liban. Un exemple : Madame avait un début de migraine (chaleur, sommeil, toussa) à Zahlé. Dimanche, cité chrétienne, tout est fermé ou presque (à part les restaurants et quelques magasins de souvenir et bien sûr les petites épiceries). Nous trouvons une boutique de matériel médical ouverte à côté d’une épicerie justement. Les deux nous expliquent que les cachets de paracétamols ne se trouveront qu’en pharmacie (et que pour en trouver une ouverte c’est pas gagné). Nous achetons de l’eau à l’épicerie et au moment de régler le patron offre deux cachets à Madame (sur sa réserve personnelle donc, alors même que c’est parfois une galère d’en acheter). C’est cela que nous retenons.

La galerie de photos (comme d’hab’, cliquez pour agrandir).

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Baalbek - Détails des plafons

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