La vallée Sainte

Nous profitons d’une petite semaine de vacances scolaires pour aller visiter la vallée de la Qadisha. Cette vallée, au nord du Liban est réputée pour ses monastères et ses nombreux ermitages.

Pour changer nous ne partons pas à trois, cette fois-ci nous serons quatre.

Tout a débuté lors de notre séjour à Jabal Moussa. Vous vous souvenez de notre super hôtesse Muriel (sinon je vous encourage à relire l’article et à vous apercevoir que je l’ai nommé « Murielle » par erreur) ? Elle nous avait vanté la vallée de la Qadisha (ou Kadisha, comme d’hab’, je ne vous refais pas le discours sur les noms de lieux au Liban) et depuis nous en avions fait notre prochaine destination.

Les vacances scolaires de Toussaint se profilent à l’horizon (une seule semaine ici pour rattraper un peu des trois mois complets de vacances d’été) et Monsieur déterre les messages de Muriel (je parle de moi à la troisième personne, début de schizophrénie ?) et se lance à nouveau dans la tâche d’organiser un séjour au pays du chaos et de l’impermanence. Tel Sisyphe (Wikipedia est toujours ton ami) je gravis chaque jour la montagne des coups de téléphone (enfin message WhatsApp, application pourrie mais indispensable au pays du Cèdre), des emails sans réponse, des sites web fermés et de la résignation à ne pas disposer des informations de base (la carte des randonnées dans une réserve naturelle protégée par exemple). Pour ajouter un peu de challenge et ne pas tomber dans une routine trop facile (« L’être humain s’habitue-t-il à tout ? » Vous avez 4 heures.) nous décidons avec Madame de ne pas utiliser les services d’un taxi. Pour cette aventure nous allons louer une voiture et conduire nous-même ! Dernier point : nous proposons à un nouvel arrivant (comprendre expat depuis septembre) de se joindre à nous. Mister J. est très sympathique et nous nous entendons bien. Il désire découvrir le pays, se changer les idées et nous sommes partant pour ne pas nous enfermer à trois dans une bulle familiale.

Le premier changement de programme se présente moins d’une semaine avant le départ : une amie part en vacances à l’étranger (ie : en dehors de Liban) et nous prête sa voiture. Mine de rien cela fait une énorme différence sur le budget et cela assouplit considérablement notre emploi du temps (horaires de départ, de retour, envie de prolonger ou de raccourcir). Le samedi matin Madame va chercher la voiture sur le parking de K. (elle nous avait laissé les clefs la veille) et doit tout d’abord s’accoutumer à une automatique (comme presque tous les véhicules ici). A l’heure prévue (enfin pas plus d’une heure de retard en tout cas), nous voici tous les 4 à bord, prêts à partir. Madame conduit (Monsieur ne se sentait pas à fond et Madame en avait très envie) et Monsieur copilote. Plus tard les rôles s’inverseront. Au final nous sommes tous vivants, la voiture n’a pas une égratignure (enfin pas une de plus qu’avant) et aucun mort n’est à déplorer chez les piétons. Le bilan est donc excellent !

Direction le nord. Pour couper le long trajet (plus d’une heure trente sur des routes disons … pouvant être sujet à amélioration) et limiter les risques de Petite Demoiselle d’être malade (même si cela semble s’arranger dernièrement) Monsieur a planifié deux arrêts : La grotte d’Afqa (Wikipedia) et les chutes d’eau de Baatara. La première visite est un peu décevante puisque à cette saison la grotte est un immense trou dans la paroi. A moins de faire de la spéléo (c’est le deux ou troisième plus grand réseau du pays, de quoi se perdre plusieurs jours) c’est sympa, mais pas de quoi élever une statue. Il faudra revenir au printemps lorsque l’eau cascade à la sortie. Nous achetons un sac de pommes rouges à deux petites Syriennes sur le bord de la route, après négociation dans un mélange d’anglais et de Syro-Libanais. Les fruits sont délicieux et nous calerons à plusieurs reprises sur la suite du séjour. Ce ne sera que le premier exemple d’une longue série de Syriens très pauvres travaillant à la cueillette et autres travaux difficiles.

La grotte d’Afqa, ancien lieu de culte dédié à Aphrodite

Avant d’atteindre les chutes d’eau nous franchissons un checkpoint. Enfin disons plutôt que Madame fait un signe de tête au garde de faction et passe sans autre forme de procès. Heureusement la période est détendue et le militaire, plutôt que de menacer tous les occupants du véhicule de son arme, écarte les bras de son corps en levant les épaules dans le geste universel de « Qu’est-ce que vous foutez ???? ». Arrêt d’urgence, marche arrière, ouverture de la vitre, excuses, sourire de Petite Demoiselle, et c’est reparti. Cela permettra à Mister J. et Monsieur de chambrer Madame tout le reste du séjour (et certainement dans les mois à venir également).

Plaisante surprise en arrivant à Baatara Waterfall : c’est juste derrière Douma et c’est l’endroit que nous avions raté lors de notre première randonnée avortée dans le coin (l’article est ici). La vision est grandiose et la sensation de se balader sur l’arche avec le gouffre de chaque côté (sans aucune sécurité bien sûr) est fabuleuse. C’est à la fois effrayant (parce que la chute sera mortelle sans aucune discussion vu la hauteur) et fascinant puisque la liberté et la responsabilisation sont totales.

Baatara Waterfall (avec juste un filet d’eau à cette saison)

Direction Bcharré (ou Bécharré ou …) pour trouver notre maison d’hôtes qui sera notre point de chute pour les quatre prochaines nuits. Pour les informations officielle sur Bcharré c’est toujours sur Wikipédia.

Raymond (notre hôte) est très accueillant. Le poêle est allumé, le long conduit traverse l’étage (ou se trouvent nos trois chambres et la salle de bain) et diffuse une douce chaleur. Raymond propose du rosé, nous avons apporté du rouge, la soirée sera très décontractée et riche en échanges. Au cours du repas (légumes bio de son jardin ou de son voisinage) Raymond nous recommande de faire la randonnée qui suit toute la vallée (enfin une des randonnées sur ce trajet). Il se propose de nous servir de guide et d’organiser le retour le soir. En effet le trajet représente une vingtaine de kilomètre, avec des passages difficiles, et nécessite la journée. A cette saison la nuit tombe tôt (17:00 avec le changement d’heure été/hivers qui est pour ce soir) il faut une voiture pour rentrer.

Premier jour et nous voici à Ehden et surtout la réserve naturelle de Horsh Ehden (Wikipedia en anglais). Une très belle randonnée de 16 kilomètres. Comme d’habitude nous nous perdrons sur le trajet. Cette fois-ci le site n’est pas en cause, le repérage est très bien fait. Nous avons rattrapé un groupe et avons plus ou moins suivi leur trajet sans faire attention à un embranchement. Le pire c’est que cela nous a mené où nous voulions, avec un point de vue magnifique sur la région. Simplement pensant être moins loin sur le trajet, une fois séparé du groupe nous avons commencé à nous demander où nous étions. Le seul berger du coin a fait preuve de beaucoup de bonne volonté pour nous aider malheureusement notre niveau de Libanais (en regroupant nos 4 cerveaux, Mister J. étant avancé et Petite Demoiselle prenant des cours à l’école) n’a pas suffit. La journée a été fatigante mais ô combien ressourçante. Le repas du soir sera le bienvenu. Madame et Mister J. s’adonnant de plus au plaisir du Narguilé.

Second jour. Raymond nous prend en charge dès le petit-déjeuner et direction la Vallée de la Qadisha. Bcharré étant à un bout, il ne nous reste qu’à descendre à flan de falaise et de marcher jusqu’au bout. Démarrage sous une petite pluie, très vite le soleil apparait et ne nous quittera plus de la journée. En cours de route Raymond nous partage sa passion de sa région (il est revenu vivre ici après 15 ou 20 ans en Australie, où se trouve ses 7 enfants qui travaillent et ont fondé une famille pour certains). Il nous fait goûter des baies comestibles, certaines appelées « bonbon » sont de toutes petites boules noires dont l’écorce sucrée se mange.

Arrêt dans un restaurant tout en bas de la vallée pour une pause café. L’hospitalité Libanaise est une nouvelle fois démontrée : le patron nous offre les boissons alors que nous sommes certainement les seuls clients de la journée. A charge de revenir à la belle saison avec des amis pour déguster la cuisine de son épouse.

Plus loin sur le trajet Raymond a envie de grimper la pente escarpée pour visiter une grotte qui le tente depuis longtemps. La montée sera difficile, la descente encore plus (Petite Demoiselle sera très courageuse et ses parents ne laisseront aucun film ou photo qui pourraient être utilisé(e)s à charge par la protection de l’enfance) et la grotte s’avèrera être … une grande cavité vide, avec un petit muret, qui n’a pas dû être occupée réellement. Pas grave, l’aventure laissera de jolis souvenirs.

La suite de la journée nous fera découvrir un ermitage, deux monastères (dont le plus vieux du Liban), une nonne pleine de foi en l’avenir (Madame est émerveillée par sa confiance ; Monsieur pense cyniquement que c’est cela de vivre coupée du monde), un vendeur de sandwich (Syrien nous précisera Raymond) n’ayant pas envie de cuisiner (Notre guide affamé appellera son patron pour obtenir son repas. Nous avons alors pris encore plus conscience du rapport de force entre locaux et réfugiés), un groupe qui marchent en priant et un village d’éleveurs où l’odeur des bêtes est omniprésente. Retour à la nuit et repas végétarien à base de feuilles de vigne au riz et de gâteau à la citrouille (Monsieur se jette sur un œuf dur et du pain, Petite Demoiselle sur un paquet de Mikado). La soirée sera entrecoupé de parties de Backgammon et de vin rouge. 18 kilomètres dans les jambes.

Le jour suivant nous optons pour une visite de monastères, avec trajet en voiture pour pouvoir profiter de plus de lieux. Le second est un ermitage accroché à la paroi. La descente (et la remontée) se fait dans une alternance de brume et de clarté, avec un escalier ou une sente qui donne sur le vide. La barrière qui borde de rares passage est trop basse pour se retenir mais suffisante pour passer par-dessus direction le bas de la vallée quelques 200 mètres plus bas. Les deux ou trois cent mètres au-dessus de la tête accroissent la sensation de vertige. Petite Demoiselle galope avec plaisir, Madame et Mister J. gèrent bien et Monsieur est à la limite de décompenser en imaginant Petite Demoiselle chuter à chaque pas. Monsieur finira par laisser l’écart se creuser pour ne plus la voir marcher devant lui et arrêter de paniquer. Le parcours a été très éprouvant et en plus l’ermitage était fermé ! Le reste de la journée nous permettra de visiter le monastère de Saint-Antoine de Kozhaya, lieu d’impression du premier livre du Liban. Au monastère voisin nous aurons l’honneur de déguster le plus mauvais café que nous ayons jamais bu depuis notre arrivée dans ce pays. Cela arrive et nous en avons bien rigolé. Le soir un festin nous attend : poulet et frites maison, houmous maison et nous ouvrons une bonne bouteille que nous avions apporté (Madame semble plus sensible au rosé offert par Raymond).

Dernier jour à la Kadisha. Nous faisons nos au-revoir à notre hôte et partons visiter deux musées à Bcharré. Le premier est une surprise, la visite inattendue suite à un conseil de Raymond : Bcharré héberge un musée des coquillages. En pleine vallée montagneuse, à des kilomètres de la mer. C’est un couvent Carmelites (Saint Joseph) qui abrite cette collection originale. Un détour amusant qui vaut le coup d’œil, et puis le cadre est superbe. Ensuite visite du musée de Khalil Gibran (site officiel sur le lien). Petite Demoiselle nous fera la visite guidée (avec le support papier, hein, elle est futée mais quand même. Nous découvrons tous l’artiste en arrivant. Madame et Mister J. connaissant son œuvre la plus célèbre : Le prophète). Ensuite nous allons marcher dans la réserve des Cèdres de Dieu. Grosse déception pour Monsieur. Les arbres sont superbes (parmi les plus vieux du pays, plus de 3000 ans pour deux d’entre eux) mais le côté trop balisé et tout petit donne une impression de « zoo des cèdres » plus que de nature sauvage. La rue permettant de passer du parking à l’entrée est bordée de magasins vendant des souvenirs en bois de cèdre (et autre). Monsieur prévient tout de suite qu’il ne s’arrêtera pas à ses attrapes-touristes. Madame achète deux ou trois bricoles et quand la vendeuse explique que nous sommes les premiers clients de la journée (il est 16:00 et nous apprendrons ensuite que nous sommes les premiers en deux jours) Monsieur se renseigne sur les tables de backgammon et bien sûr fini par craquer… (Rico si tu nous lis, je me prépare à des parties endiablées).

La nuit tombe, Monsieur prend le volant. L’expérience de l’autoroute qui longe la côte en conduite de nuit, suivie des lacets de montagne pour se rendre chez Muriel sera un souvenir marquant. Arrivée chez Muriel, très bon repas et échange le soir sur les canapés du petit salon, avec une infusion d’herbes du jardin. Petite Demoiselle découvre que les chatons d’avril dernier ont bien grandi. L’une d’elle n’a pas encore de nom, Petite Demoiselle la baptisera à la demande de Muriel (« Mimi » pour le détail).

Copieux petit déjeuner, et direction Jabal Moussa pour une randonnée au goût de revanche (faire les sentiers auxquels nous avons dû renoncer l’an dernier à cause de la neige et des indications absentes). La revanche sera pour une autre fois … Nous n’avons pas trouvé l’entrée souhaitée (pas indiquée sur la route et la géolocalisation n’est pas assez précise), sur la seconde entrée nous suivons une piste qui s’arrêtera sans raison au milieu de nulle part. Pourtant aucun regret, le changement imposé d’itinéraire nous permettra d’atteindre le point culminant de la réserve avec une vue imprenable. 13 kilomètres, parfois rudes, entrecoupés de devinettes (Mister J. est redoutable et merci encore pour tout ce temps que tu as consacré à Petite Demoiselle). Une magnifique journée pour terminer ces vacances.

Retour sur Beyrouth, et repos.

Le séjour a été encore une fois très enrichissant. Nous avons bien senti dans les discussions avec Raymond, Muriel et Savino (son mari) que la crise se fait plus présente au quotidien. Nous l’avons constaté au travers de repas par exemple, presque tous exempts de viande, contrairement au séjour d’avril (toutefois ils étaient copieux, très bien préparés et suffisants, ce n’est pas un reproche, simplement ce n’est pas dans les habitudes ici quand on reçoit du monde). Les échanges qui reviennent régulièrement sur les coupures électriques, les difficultés financières, l’inflation, le cours de la livre libanaise sont autant de marques supplémentaires.

Les paysages sont à voir, et me poussent encore une fois à appeler tous nos lecteurs à venir nous visiter.

Les libanais sont charmants, toujours aussi accueillants. Les tensions entre communautés (y compris entre chrétiens avec des avis divergents sur les hommes politiques ou les liens avec les autres confessions) se font plus fortes, les élections promettent d’être intéressantes et chargées en événements ou prises de position.

Pour terminer un diaporama des photos du séjour. Comme d’habitude vous pouvez cliquer pour agrandir.

Monastère

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